Les conditions d’attribution du contrat de construction et de gestion du futur ministère de la Défense, dans le quartier parisien de Balard, seraient entachées d’irrégularités.
Après le débat sur son coût – 3,5 milliards d’euros en période de crise font forcément grincer des dents – et la controverse autour de sa non-conformité avec le plan local d’urbanisme, le futur ministère de la Défense s’attire désormais les foudres de la justice. Une information judiciaire pour « corruption active et passive », « trafic d’influence » et « atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics » a été ouverte en février dernier par le parquet de Paris. Sont en cause les conditions d’attribution de ce marché titanesque à la société Bouygues Construction. Celle-ci avait devancé ses deux concurrents Eiffage et Vinci en remportant en février dernier l’appel d’offres lancé par le gouvernement, puis en signant trois mois plus tard le contrat pour la construction et la gestion du « Pentagone français », dans le quartier de Balard (15e arrondissement). Mais le géant français du BTP ne se serait pas battu à armes égales.
Selon Le Canard enchaîné, les enquêteurs de la Division nationale des investigations financières (Dnif) ont reçu, en novembre 2010, le témoignage d’un informateur anonyme selon lequel la procédure de passation du marché public serait entachée d’irrégularités. Par la suite, des écoutes téléphoniques effectuées dans le cadre d’une enquête préliminaire menée par le pôle financier du palais de justice de Paris confirmeront ces informations. En février, au moment même où l’Etat confie à Bouygues le contrat de construction du siège d’un de ses principaux ministères régaliens, le parquet ouvre une information judiciaire pour faire la lumière sur les zones d’ombre que comporte le dossier. L’affaire est confiée aux juges Serge Tournaire et Guillaume Daieff. Et ce que les deux magistrats découvrent tout au long de leurs neuf premiers mois d’investigation ressemble tout bonnement à une belle affaire de corruption et de favoritisme.
Selon les premiers éléments de l’enquête, Bouygues aurait eu accès au cahier des charges du marché du futur ministère de la Défense avant ses concurrents. Une situation qui ne les plaçait plus, de fait, sur un pied d’égalité, condition pourtant nécessaire à tout appel d’offres réalisé en bonne et due forme. Si cette information était confirmée, elle pourrait à elle seule remettre en cause l’ensemble du contrat. Pis, la fuite viendrait de l’intérieur même du ministère de la Défense, dont un haut responsable est soupçonné d’avoir transmis les documents secrets à un cadre dirigeant de Bouygues. Un entrepreneur dans le BTP, connu des services de police pour des faits de corruption dans le cadre de dossiers similaires, aurait complété le trio en servant d’intermédiaire. Les noms de ces trois personnes, connus de la justice, n’ont pour le moment pas été divulgués. Si les premiers indices rassemblés par les enquêteurs sont pour le moins troublants, la vérité est peut-être moins évidente qu’il n’y paraît. Aucune mise en examen n’a donc encore été prononcée dans la mesure où la justice avoue ne pas disposer à l’heure actuelle d’éléments déterminants qui prouveraient qu’il s’agit bien d’une affaire de corruption.
« Tout cela est très, très transparent »
De son côté, le gouvernement assure vouloir jouer la carte de la transparence. Gérard Longuet a ainsi déclaré que son ministère « tenait à la disposition du magistrat toutes les informations dont il aura besoin », tout en précisant qu’aucun document n’avait pour l’instant été réclamé par la justice. Le ministre de la Défense a par ailleurs affirmé que cette affaire ne bloquait pas le chantier : « Il doit commencer en février, c’est un chantier important qui est indispensable au fonctionnement nouveau d’un ministère moderne ». Pour Gérard Longuet, le contrat avec Bouygues Construction n’est pour le moment pas remis en cause malgré les soupçons d’irrégularités. Il y a « une façon d’indemniser quelqu’un qui aurait été lésé qui existe dans le droit, c’est la réparation », a-t-il indiqué, rejetant l’idée d’un nouvel appel d’offres. « Ce n’est pas un petit noyau refermé (qui a décidé), c’est neuf groupes de travail, trois ans de travail, 130 personnes. Tout cela est très, très transparent ».
Très discret depuis l’éclatement de l’affaire, Bouygues, joint hier par téléphone, a assuré ne pas avoir été informé de cette procédure. « Nous l’avons apprise hier par voie de presse et nous n’avons pas d’autre commentaire à faire pour le moment », nous a expliqué un porte-parole du groupe. Silence radio également du côté d’Eiffage et de Vinci qui ne souhaitent pas commenter cette décision de justice.
Lancé par Hervé Morin en 2007, le projet de « Pentagone français » s’est concrétisé en février dernier par la signature d’un contrat de partenariat public-privé avec Bouygues Construction d’un montant total de 3,5 milliards d’euros. Les nouveaux bâtiments permettront de regrouper, d’ici 2015, l’ensemble des services centraux du ministère de la Défense dans un seul et même lieu. S’il ne met pas directement d’argent sur la table, l’Etat devra, à partir de 2014 et pour vingt-sept ans, débourser une redevance annuelle de 132 millions d’euros qui englobera les frais de construction, d’entretien et de gestion de cet imposant édifice de 300.000 m2. Les travaux doivent débuter en janvier 2012 pour une livraison à la fin de l’été 2014.
France-Soir, jeudi 8 décembre 2011